Prologue

Voilà plusieurs années que j’attendais l’émergence de la narration de l’ouverture du spectacle musical Île ~ ESPERE, un projet suspendu, arrêté en cours de développement par la crise sanitaire du Covid-19 et ses effets au long cours sur mon parcours d’artiste. C’est à Saint-Nazaire, dans le cadre de l’atelier ÉCRIRE DANS LA VILLE animé par l’écrivain Joël Kérouanton, que les mots ont surgi sous mon stylo, réanimant soudain le personnage principal : un artiste désespéré. La puissance du jaillissement du texte était si forte qu’elle m’a bouleversée. J’ai du sortir du « Garage », en pleurs, pour marcher dans la ville, en pleine résonance.

Île ~ espere [Pilote Tableau-épisode : CARNETS DE VOYAGE] – Teaser (Décembre 2019)

«
Il est 5 heures du matin et la pénombre embrasse encore tout l’espace.
J’ai les couilles gelées.

Cela ne fait pas 30 secondes que j’y suis, et me voilà déjà trempé de la tête au pied. Le vent glacial me gifle et me griffe, dur et coupant comme un fouet fabriqué avec des cordes à piano. Je claque des dents et mon corps tremble de toutes ses cellules musculaires. Les tensions sont tellement fortes et douloureuses que j’ai l’impression que je vais me déchirer en lambeaux, comme un drapeau usé jusqu’à la corde.
De là-haut, le déchaînement des éléments est effrayant.
C’est donc cela que ressentent les personnes qui veulent mettre fin à leurs nuits. C’est pas les jours qui sont les plus longs quand on ne dort plus.
Je me souviens d’un reportage que j’ai vu à la télé sur les suicidés de Tojinbo au Japon ; 25m de falaise, un grand saut dans l’enfer des vagues, du vent et des rochers coupants. Un homme bienfaisant, au visage de pêcheur et aux mains de charpentier, tentait de dissuader ces ultimesautiers de la vie. Il en sauvait peu. Peut-être était-ce mieux ?

20 mètres ! La falaise de Virechat à Saint-Nazaire c’est pas Tojinbo mais c’est pas mal tout de même ?

J’aurais bien fait un 1er essai avec un wingsuit, cette tenue pour homme planant comme un oiseau ou plutôt comme un écureuil volant. Il paraît que c’est con un écureuil. Mais j’ai lu sur Internet qu’il faut au moins 100 à 150 m de hauteur de vide pour pas se crasher direct. Et puis, avec les kilos que j’ai pris à cause des antidépresseurs, j’aurais pas pu fermer la combinaison. Mourir ventre à l’air n’a rien de digne, déguisé en écureuil volant qui plus est.

Mon corps me lâche. Je passe de la douleur et des tremblements à l’anesthésie. Quelque chose s’allège en moi. Peut-être que le processus de lâcher-prise a commencé ? Reste que je n’ai plus la force de sauter ou bien est-ce la peur qui me sidère, par effet coupe-circuit ?
Ma respiration d’abord haletante se fait lente, jusqu’à l’apnée, une apnée d’éveil puisque je ne dors plus depuis plusieurs jours. Peut-être suis-je en train de préparer mon dernier souffle ? Celui qui pendant ma chute se fondra avec le vent et le fracas des déferlantes ?

Mes oreilles se bouchent. Je n’entends plus rien. L’aube blanchâtre se fond avec l’écume des vagues. On dirait que le ciel nuageux se dissout dans la mer.

Je n’ai plus froid.

Il y a quelques minutes encore, je transgressais l’interdiction au public d’entrer sur le site de Virechat. Des travaux d’installation d’une passerelle sont en cours. Elle doit rétablir la continuité du sentier côtier à flanc de falaise et à 10 m au-dessus du sol. La falaise s’érode et elle pourrait s’effondrer. « Même si la falaise tombe, la passerelle restera. » titrait l’ÉCHO de la presqu’île guérandaise et de Saint-Nazaire, le 18 septembre dernier*.
La falaise tomberait probablement en silence et de nuit, dans le brouhaha de l’océan et du vent tempétueux.

Je ne sens plus mes pieds, ni le contact du sol. Ai-je déjà sauté, dans l’inconscience ?
Et soudain, une musique ! Chaude comme le souffle d’une basse qui traverse lento et crescendo les tubes d’un orgue d’église. Cette musique remonte de l’intérieur de mon abdomen, traverse mon thorax, jusqu’à ma gorge. Bouche ouverte, yeux fermés, le souffle se fait chant. Et mes doigts se mettent à pianoter mécaniquement, dans le vide et dans les ténèbres. Toute sensation de pesanteur s’est évanouie, échappée de mon corps qui bascule en chute ascensionnelle dans les profondeurs du chant du monde. Et puis, comme un éclair, surgit de cette musique inconnue une pensée foudroyante :

« Aller plus loin que ce profond aujourd’hui. » Erik Satie

»

(*) Lire l’article et voir la vidéo : https://actu.fr/pays-de-la-loire/saint-nazaire_44184/video-meme-si-la-falaise-tombe-la-passerelle-restera-le-sentier-cotier-de-saint-nazaire-consolide_63182207.html

Texte écrit dans le cadre de l’atelier « Écrire dans la ville » animé par l’écrivain Joël Kérouanton sur le site de l’espace créatif, innovant et culturel « LE GARAGE » à Saint-Nazaire.

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